Les nomades digitaux ne sont pas d’authentiques nomades

Le nomadisme numérique est sexy, mais que signifie vraiment le nomadisme ?

Le nomadisme est pluriel : il varie à la fois dans le temps et dans l’espace. Les Inuits et les Touaregs, par exemple, sont des populations nomades célèbres. Pourtant, leurs cultures sont très différentes. Alors comment définir le nomadisme ? Étudier les peuples premiers nomades d’un point de vue historique est à la fois difficile et hasardeux, car l’histoire est écrite par les sédentaires alors que les nomades s’appuient sur une tradition orale. Je propose plutôt de s’intéresser au système de valeurs qui caractérise l’esprit des nomades.

Dans l’imaginaire collectif, le nomade est d’abord un simple individu. Étymologiquement parlant, le terme  » nomade  » désigne le membre d’une tribu de bergers itinérants : un mélange de  » nomas  » ( » le pastoral « ) et de  » odos  » ( » la route « ) en grec ancien, pour décrire ceux qui changent de lieu en fonction du rythme des saisons en emportant avec eux leurs biens matériels. Un nomade n’accumule pas.

Cette simplicité n’est pas une vision simpliste du monde : le nomade historique est non seulement un protecteur, mais aussi un grand empathique envers les personnes extérieures à sa tribu.

Un protecteur d’abord, car il comprend son lien nécessaire avec la nature. Nuire à la nature est contraire à l’éthique du nomade. Les compétences utilisées pour survivre en respectant la nature sont transmises aux générations suivantes : ce devoir de mémoire est une valeur centrale du nomadisme. C’est pourquoi la communauté est au cœur d’une société errante : la tribu comme plate-forme pour répartir le travail et transmettre les connaissances. Les meilleurs nomades, ceux qui survivent, sont ceux qui excellent dans ces deux domaines.

D’autre part, les nomades sont compatissants. La violence est un mal nécessaire, mais elle n’est pas amplifiée par leur nature humaine. Au contraire, les nomades limitent la violence à leurs besoins fondamentaux de survie : se nourrir ou se protéger. Tuer des animaux, par exemple, exclut toute agressivité pour devenir une activité sociale (partage d’un repas) et spirituelle (échange entre la nature et l’homme).

Si l’on revient au sens étymologique, on peut observer combien les populations nomades sont également têtues.  » Rien n’est plus immobile qu’un nomade, rien ne voyage moins qu’un nomade  » dit Deleuze : les nomades sont ancrés à un territoire et tournent autour de celui-ci de manière saisonnière. En effet, leur savoir est lié à ce territoire. Le nomade ne voyage pas, au sens moderne du terme.

Malgré cette obstination, le nomade a de la curiosité et est ouvert aux échanges et à la communication. Le partage, l’hospitalité et la solidarité sont des valeurs du nomade historique également, non seulement envers les membres de sa propre tribu, mais aussi envers les étrangers.

Aujourd’hui, lorsque je regarde les nomades numériques, je ne vois pas d’héritiers de l’esprit nomade.

La plupart sont des voyageurs réguliers qui ne pensent qu’à eux, prompts à se joindre à des personnes « partageant les mêmes idées » et voyageant en groupe, sans grande compassion ni réelle curiosité pour les populations locales ou les cultures étrangères.

Ils nuisent à la nature lorsqu’ils ne sont pas des voyageurs lents, en contribuant à la pollution des avions et plus généralement des transports.

Nuisibles à l’environnement économique local lorsqu’ils consomment trop et n’agissent pas de manière responsable et durable.

Le nomadisme numérique est un nomadisme bon marché et à faible effort.

Et il n’y a rien de mal à cela, car j’ai tendance à être l’un de ces nomades numériques. Mais nous devons devenir de meilleurs voyageurs si nous voulons en faire un mode de vie durable, un néo-nomadisme.


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