Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes – Robert Pirsig

Chaque fois que j’en ai l’occasion, j’en profite pour donner le change à quiconque se présente à moi avec ce livre, Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes (ZAMM). Ainsi, le choix de ma première critique sur Live Sensei ne pouvait pas en être un autre. De plus, on peut dire que c’est un livre quelque peu inconnu, du moins pour les Français, car bien que la BBC l’ait appelé « le livre de philosophie le plus lu de tous les temps » et même David Lynch l’a paraphrasé dans un chapitre de Twin Peaks, en France il a toujours été très difficile à éditer. Dans les années 90, il y avait une traduction pas très bonne publiée et épuisée depuis longtemps, et il a fallu 34 ans à compter de sa publication en 1974 pour que nous jouissions d’une bonne traduction, édition et distribution de ce classique, grâce à sa réédition pour ses 50 ans.

Mais de quoi parle-t-on ? « Livre de philosophie » et « largement lu » peuvent-ils être dans la même phrase ? Voyons, le titre complet du livre est ZAMM : An Inquiry into Values ​​et en effet le but ultime de Robert Pirsig lorsqu’il l’a écrit à la fin des années 60 était de faire réfléchir le lecteur sur la perte de certaines valeurs ( et la montée des autres ) que connaît la société occidentale à cette époque. Mais le succès du livre ne réside pas seulement dans l’acuité des idées soulevées, mais précisément dans la manière dont elles ont été soulevées.

Son succès fut d’être le pire livre pour les lecteurs obsédés par tout classer, les lecteurs qui ne s’étonnent pas. ZAMM est tout un casse-tête de genres, un livre de genres, bien que si j’étais obligé de le classer, je dirais que ZAMM s’inscrit dans quatre genres différents, et pour chacun d’eux, une critique différente devrait également être donnée :

Roman : le parcours d’un homme tourmenté aux secrets qu’il ne connaît pas lui-même ; des secrets que vous ne découvrirez qu’en voyageant à travers votre pays, votre époque, vos amis et votre fils ; des secrets qui changeront votre vie et probablement celle du lecteur.

Carnet de voyage : le récit d’un road trip à moto d’un père et de son fils à travers les États-Unis, essayant de s’adapter aux paysages et aux personnages qu’ils croisent et tentant de surmonter les problèmes (externes et internes) qui disparaissent.

Autobiographie : le voyage intérieur d’un homme qui cherche, sans le savoir, à se retrouver lui et son fils ; une histoire (ou une confession) de (ou de) folie, de doute, de génie, de frustration et surtout de paternité.

Essai philosophique : la recherche personnelle d’un système de pensée et d’un mode de vie qui unisse enfin la Grèce classique et les États-Unis, la tradition et la modernité, l’art et la science, la nature et la technologie, l’émotion et la raison.

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A ces genres s’ajoute celui de « guide pratique du voyageur à moto », puisque Pirsig ne lésine pas sur les détails en comptant les pannes mécaniques qu’ils doivent résoudre, les types de routes qu’ils essaient d’éviter, les bagages les plus adaptés… Mais rien de tout cela n’est gratuit, chaque élément du livre est toujours utilisé pour une réflexion ou pour un détail de l’intrigue. Car les multiples niveaux ou genres qui composent ZAMM ne sont pas seulement superposés, ils sont totalement entremêlés. Si quelqu’un pouvait faire quelque chose d’aussi difficile, c’était Robert Pirsig : un enfant prodige qui a étudié la biochimie à 15 ans aux États-Unis et la philosophie orientale à 22 ans en Inde, et qui a ensuite gagné sa vie en tant que professeur de littérature et rédacteur de manuels. Rien que ça !

Quand j’ai lu ZAMM il y a quelques années, ça a été pour moi une révélation : tout le méli-mélo du livre n’était pas seulement une question littéraire, mais étendu à la vie elle-même, à la manière de la vivre. Il offrait une vision unitaire de presque tout, bien mieux adaptée à mes doutes et préoccupations de l’époque que la vision traditionnelle qu’on nous enseigne à l’école. Je suppose que je ne suis pas très original, car la même chose a dû être appliquée aux doutes et aux préoccupations générales de la société américaine des années 70 pour qu’elle ait autant de succès à l’époque. Et je suis convaincu qu’il pourrait être tout aussi réussi aujourd’hui.

Tel était mon enthousiasme quand je l’ai lu, que j’ai recommandé ZAMM à gauche et à droite et l’ai donné sans distinction à ma famille et à mes amis. Au fil du temps, j’ai appris à être plus prudent. Bien sûr, je le recommande toujours (d’où cette critique), mais à lire avec prudence. ZAMM n’est pas un livre pour tout le monde.

C’est un livre qui engage, qui a une composante importante d’intrigue, d’émotion, mais peut-être que son seul inconvénient est que pour s’y laisser prendre, il faut être prêt à réfléchir. ZAMM n’est probablement pas un livre à lire lorsque vous rentrez chez vous après dix heures de travail mentalement épuisant ; mais quel bon livre pourrait l’être ? On peut donc dire du ZAMM (comme de tant d’autres bonnes choses dans la vie) : consommez avec modération, mais À CONSOMMEZ TOUT DE MÊME !

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